Le parcours résilient des femmes déplacées de Tingara
18 mars 2025
De nombreuses femmes déplacées ont trouvé refuge dans le site de Tadress, en périphérie de Tillabéri.
Depuis l’attaque tragique qui a contraint des centaines de familles à fuir le village de Tingara 2 en février 2019, de nombreuses femmes déplacées ont trouvé refuge dans le site de Tadress, en périphérie de Tillabéri. Face à l’adversité, elles ont su faire preuve d’une résilience remarquable, soutenues par l’ONG JAAD. Leur histoire illustre la force du collectif et l’impact positif qu’une organisation dédiée peut apporter à des communautés en détresse.
En février 2019, une attaque d’éléments présumés de Groupes Armés Non-Étatiques (GANE) a frappé le village de Tingara, dans la commune de l’Anzourou. Environ 216 ménages, soit 1 500 personnes dont Mamou Hassimi, 46 ans, mère de cinq enfants et Haoua Issaka, 31 ans et mère de sept enfants, ont fui leurs foyers, abandonnant maisons, terres et moyens de subsistance. Elles ont marché durant quinze jours pour atteindre Tillabéri, bravant la faim, la fatigue et la maladie.
« Ce départ forcé reste le pire moment de ma vie ; nombreux sont ceux qui étaient tombés malades ; d’autres n’y ont pas survécu tandis que certains donnèrent la vie au cours de cet odyssée. » – Mamou Hassimi.
À Tillabéri, dès leur arrivée, elles furent accueillies par les autorités locales avec une première assistance en vêtements et en nourriture. Par la suite, le Programme alimentaire mondial (PAM), des ONG nationales et internationales leur ont distribué des céréales, de l’huile, du sel et du sucre pour une durée de trois mois.
La rencontre avec JAAD : vers l’autonomisation
La vie de ces rescapées de Tingara va changer à partir de 2020, à la suite de leur rencontre avec l’ONG nationale Jeunesse Africaine et Actions de Développement (JAAD), dans le cadre du réseau « West African Network for peacebuilding » (Wanep). Ce fut le début d’une collaboration fructueuse qui aura permis de se constituer en groupement de 33 membres, dénommé « Lakal Kaney ».
Ensuite, JAAD a renforcé leurs capacités en vie associative, en sensibilisation sur la cohésion sociale mais aussi en techniques de transformation de produits alimentaires. L’initiative n’a pas tardé à faire des émules, car aussitôt, les femmes de la communauté hôte se sont de leur côté organisées en groupement dénommé « Fahamey » avec 45 membres ; engageant un échange solidaire avec leurs consœurs déplacées. Commence alors une relation forte fondée sur la cohésion sociale entre ces femmes que la providence à mises ensemble ; en témoigne le partage d’expériences et de savoir-faire.
« Grâce aux formations en transformation de produits alimentaires et la fabrication de savon, nous pouvons désormais subvenir à nos besoins, assurer la scolarisation de nos enfants et reprendre confiance en nous », a déclaré pour sa part Haoua Issaka.
Elles apprirent les unes des autres comment produire du savon liquide et solide, comment transformer du maïs en produits dérivés, comment valoriser de l’arachide en tourteaux et en pâte, et comment transformer des ressources locales comme le sésame, le soumbala et les feuilles de corètes.
L’expérience a montré que les réponses aux crises et catastrophes peuvent être encore plus efficaces qu’elles ne le sont, si les programmes d’interventions faisaient davantage attention aux besoins spécifiques de chaque catégorie de personnes affectées par les crises, comme on peut le voir avec JAAD et les femmes de Tadress.
Une success story confirmée : la foire de Niamey
Début 2025, JAAD est revenue à Tillabéri pour inviter plusieurs femmes de Tadress à la foire agropastorale et halieutique « Sahel Niger 2025 » à Niamey. Elle les dota de kits d’autonomisation pour renforcer leurs capacités pour ce faire. Et puis à la suite d’un processus de sélection organisé par cette ONG, Mamou, Haoua et deux autres femmes de la communauté hôte de Tadress ont été retenues pour participer à cet événement.
« Nous sommes désormais visibles en tant que groupement de la région de Tillabéri dans ce que nous savons faire de mieux en matière de transformation de produits alimentaires ; mais il faut le dire, nous avons aussi beaucoup appris des autres, découvert les produits d’autres groupements et entrepreneures venus de tout le pays et de la sous-région, tissé des liens et développé un réseau de partage d’expériences », a déclaré Marie Doulla, du groupement « Fahamey », membre de la communauté hôte.
Cette première participation à un événement d’envergure internationale avait tout l’air d’une consécration pour ces femmes venues de loin. Les femmes sont revenues encore plus motivées, conscientes de l’importance d’améliorer la qualité de leurs produits pour conquérir de nouveaux marchés.
Un modèle de résilience et de solidarité
Pour Mamou, Haoua et ses compagnes, ce parcours témoigne avant tout de leur détermination face aux crises successives qui touchent la région de Tillabéri. Au-delà de la survie, ces femmes déplacées ont trouvé les ressources pour reconstruire leur vie et s’intégrer dans une nouvelle communauté grâce à la synergie entre JAAD, les autorités locales et d’autres partenaires.
« Le 8 mars est une occasion de célébrer les progrès accomplis par les femmes, mais aussi de mettre en lumière l'importance de leur autonomisation dans tous les aspects de la vie. L'aide humanitaire doit impérativement prendre en compte cette réalité en accordant une priorité aux organisations locales dirigées par des femmes, qui sont au cœur des solutions adaptées aux besoins des communautés. En leur fournissant davantage de ressources et de pouvoir d'action, nous contribuons non seulement à renforcer la résilience des populations, mais aussi à faire émerger des leaders féminines, actrices essentielles dans la construction de sociétés plus justes, inclusives et durables », a dit ABDOU IDI Haoua, Coordonnatrice Nationale de l'ONG JAAD, une organisation qui travaille à promouvoir le leadership des femmes au Niger.
Cette histoire est un appel à multiplier les actions de soutien aux populations déplacées et à promouvoir l’autonomisation des femmes, levier essentiel pour renforcer la résilience communautaire. Malgré les difficultés, l’expérience de Tingara et de Tadress montre qu’avec un accompagnement adapté, il est possible de retrouver une vie digne et de contribuer activement au développement économique local.
Vers l’avenir
Le parcours de Mamou, Haoua et des femmes de Tingara met en lumière la force de la solidarité et le rôle essentiel de l’accompagnement dans un contexte de crise. Leur participation à la foire de Niamey confirme qu’en dépit des obstacles, l’audace, la persévérance et le soutien ciblé peuvent ouvrir de nouvelles perspectives à celles et ceux qui ont tout perdu. Plus largement, il s’agit d’une leçon universelle : l’espoir et l’entraide peuvent devenir de puissants moteurs de reconstruction et d’autonomisation.
Écrit par
Temur SHAROPOV
OCHA
Head of Advocacy, Strategic Communication & Public Information